Apprécier la Madone Léonardesque

Publié le : 02 octobre 20208 mins de lecture

Le visage confit et les cheveux doucement tressés définissent les traits de la Madone Léonardesque, dans la lumière chatoyante de l’atmosphère purifiée d’un paysage de montagne où, dans l’ombre abritée d’une architecture inconnue, se consume le caractère sacré de l’intimité maternelle. La « Madonna Litta » (1481) doit sa célébrité éblouissante et d’une certaine manière obscure à cette bonne dose d’ambiguïté qui accompagne souvent les œuvres de Léonard de Vinci et qui, jusqu’à il y a quelques décennies, empêchait d’établir avec certitude l’identité de l’auteur. Le regard authentique de l’enfant Rédempteur a dirigé son attention parmi les spectateurs les plus cultivés de l’aristocratie milanaise, émouvant et suscitant la sensibilité des membres les plus instruits de la famille Visconti, au point d’enrichir de l’éclat italien les prestigieuses collections de la famille royale Romanov. Le panneau est maintenant exposé à l’Ermitage de Saint-Pétersbourg, avec la « Madone Benois » (1478), dans la salle dédiée à Léonard.

Genèse de l’œuvre

Le tableau connu sous le nom de « Madonna Litta » a été peint par Leonardo da Vinci en 1481, honorant ainsi l’hypothèse très créditée selon laquelle le tableau était contemporain de « l’Adoration des Mages ». Comme l’attestent les manuscrits autographes, Léonard arrive à la cour des Sforza à l’âge de trente-huit ans, prêtant son génie à la résolution d’une série de problèmes d’eau liés à la construction, voulue par les Sforza pour faciliter l’arrivée des marchandises par le Tessin et le Pô, tant à Milan qu’à Pavie. La peinture sur bois a été commandée par la noble famille Visconti, puis a atteint les collections emblématiques des ducs Litta, pendant la seconde moitié du XVIIIe siècle. Le chef-d’œuvre en bois a quitté les palais de l’aristocratie milanaise pour être vendu en 1865 par Antonio Litta Visconti Arese (1748-1820), Grand Officier de la Légion d’honneur et Chevalier de la Toison d’or, au Tsar de Russie Alexandre II Romanov (1818-1881), qui a exercé sa passion artistique personnelle en plaçant l’illustre panneau Renaissance dans la galerie royale, jusqu’à ce qu’il soit exposé à l’Ermitage après la Seconde Guerre mondiale.

Controverse sur l’auteur

L’énigme, comme il arrive souvent pour les événements liés à la vie du peintre, n’est pas facile à élucider, des faits, dans la perspective d’une attribution léonardienne générale, nombreux sont ceux qui entrevoient dans le mystère davinciano la figure d’un élève. Giovanni Antonio Boltraffio (1467-1516) se présente comme le candidat numéro un dans le conflit sur l’attribution, couronnant le trafic d’arguments par la confirmation de sa présence, à partir de 1482, dans l’atelier milanais de Léonard, comme en témoigne une annotation faite par le maître toscan lui-même dans le « manuscrit C », conservé à l’Institut de France. Léonard avait l’habitude d’abandonner l’écriture d’un tableau à mi-chemin de son achèvement, laissant l’œuvre dans un état d’incomplétude jusqu’à ce qu’il ait le temps de la terminer. Dans de nombreux cas, ce choix était lié à la nécessité, comme dans le cas de la « Joconde » (« Mona Lisa », 1503-1517), d’emporter son chef-d’œuvre avec elle, en vantant et en exposant son génie par l’intermédiaire de tables préparatoires ou de toiles semi-confectionnées, un stratagème moderne et laborieux pour autoriser le client à apprécier pleinement ses créations. La difficulté exégétique découle de la combinaison exceptionnelle d’éléments, probablement due à une performance combinée du maître et du disciple, telle qu’elle rend difficile de quelque façon que ce soit la reconnaissance du « magistral opéra ». Le débat tourne, une fois de plus, en faveur de Boltraffio si l’on procède à l’analyse des ombres qui, dans la conception de l’origine de Léonard, remplissaient l’absence de lumière en donnant de la profondeur à la surface des corps, contrairement à ce que l’on trouve dans le tableau examiné, où l’utilisation des ombres est loin de l’étude des couleurs et de la phénoménologie de leurs reflets, avec un dégradé exceptionnellement net des couleurs sombres dans les couleurs claires, dépourvues de l’ombrage classique de Léonard. M. A. Gukovskij (1898-1971), l’un des plus grands experts soviétiques de la Renaissance italienne, a fait une comparaison entre la « Madonna Litta » et les peintures autographes de Léonard conservées au Louvre. L’analyse de l’érudit russe n’a pas apporté d’avancées et de précisions particulières sur la question de savoir qui pouvait être l’auteur du panel, définissant malgré cela un détail important et en même temps vain aux fins de vérification. Gukovskij a souligné une considération technique importante en notant l’utilisation de la détrempe au lieu de la couleur d’huile habituelle de Léonard, bien qu’une thèse complètement hypothétique soit inexplicable à tolérer en l’absence d’un examen scientifiquement prouvé. Le caractère extraordinaire du panneau lie les manifestations intimes de Léonard de Vinci à quelques éléments qui, dans l’indéniable de certains traits distinctifs du maître florentin, déclinent la paternité de l’œuvre à Léonard de Vinci, excluant dans tous ses éléments générateurs l’intervention du Boltraffio milanais. La particularité du dessin et la représentation de l’Enfant dans cette torsion singulière du buste, avec son évidente habileté anatomique, font que le tableau est encore exposé au public de l’Ermitage comme créature picturale de Léonard de Vinci. Un curieux détail révèle l’inclusion dans le tableau d’un symbolisme redondant dans la production de Léonard de Vinci. Le motif sacré de l’amour maternel divin, dans la connaissance brutale du fils comme agneau dans les mains de Dieu, réside dans le chardonneret représenté dans le ventre de Jésus-Christ, dans l’espace protégé d’une étreinte infinie. Le choix ornithologique doit ses raisons au symbolisme ancien qui associe cet oiseau aux pousses et aux chardons, donc au thème biblique de la passion du Christ et à la figure du Christ Sauveur.

Les notes techniques et descriptives de la Madone Léonardesque

L’iconographie de la Vierge à l’Enfant a souvent été un sujet choisi et préféré dans les dessins et les peintures de Léonard, en particulier dans la huitième décennie du XVe siècle, dans ses pérégrinations entre Milan et Florence. Léonard a su démontrer, dans la fragilité de son esprit hésitant, son talent et sa ténacité dans le choix du motif bucolique. Les dolomites, comme dans le cas de la « Vierge des rochers » (1483-1486), de la « Joconde » et de « Sainte Anne, la Vierge et l’enfant avec l’agneau » (1510-1513) sont visibles depuis les arcs derrière les deux figures et se détachent dans un paysage aride irrigué par des rivières bleues, Les détails que l’on retrouve dans la plupart des chefs-d’œuvre de Léonard sont en vogue, en raison des nombreux voyages de sa jeunesse dans le Frioul, grâce auxquels il a pu élaborer une mémoire éternelle faite de sommets et de collines insolites. Ces déductions résolvent la question de la localisation chronologique, ce qui permet de combiner le paysage de montagne du tableau de l’Ermitage avec la période de jeunesse du voyage dans le nord de l’Italie, ce qui permet de placer avec certitude le chef-d’œuvre dans la première phase de la formation artistique. La production picturale de Léonard est toujours anticipée par une phase préparatoire où, dans l’étude intense de la lumière, de la forme et de la couleur, on élabore un dessin qui anticipe, dans les grandes lignes, le dessin final du tableau. C’est le cas de l’Atelier pour une tête de vierge, réalisé en 1481 et toujours conservé au Louvre.

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